La honte de la bibliothèque

 

 

— Oh tu as ça !

J’ai à peine le temps de revenir de la cuisine avec les bouteilles de jus de fruits et de me rendre compte de quoi parle mon ami, que celui-ci extirpe une B.D. de la
bibliothèque et l’expose devant mes yeux.

Les Schtroumpfs et le Cracoucass.

 

Je sens un souffle dans ma poitrine. J’étais pourtant persuadé d’avoir caché ma collection intégrale de Schtroumpfs dans les
tréfonds obscurs des étagères. De grosses gouttes de transpiration apparaissent sur mon front.

Mon esprit se met aussitôt en marche, à la recherche de l’excuse à formuler : « ce sont les B.D. de mon enfance ? » Non, il est déjà en train de
prendre les albums sortis l’année dernière. « C’est un cadeau ? » Bof, personne n’offrirait de Schtroumpfs à un adulte normal. « C’était une blague potache de potes ».
Pas mal.

 

Il feuillette le Schtroumpfissime. Il est marrant celui-là, c’est un de mes préférés. Lorsque le Grand Schtroumpf part en voyage et que les petits Schtroumpfs
décident d’élire un chef, qui devient finalement un tyran. Il y a plein de blagues rigolotes. Et puis j’aime bien quand le Schtroumpf à lunettes est fait prisonnier et qu’un camp de rebelles
anti- schtroumpfissime se met en place…

 

— Mais tu as toute la collection ?

« Je n’en sais rien, ce sont les B.D. d’Ava. » Oui, mais je dois le prononcer de façon suffisamment détachée pour paraître crédible.

Mais non, après tout, je devrais assumer. Je suis un adulte sérieux, j’ai négocié des marchés à six zéros, côtoyés de hauts
responsables administratifs, brillé en réunion publique, je devrais être en capacité d’affirmer haut et fort que ces albums sont à moi et que j’en suis fier !

 

J’ouvre la bouche. Je n’ai pas le temps de me justifier.

— J’aime bien les Schtroumfs, c’est rigolo, dit-il en reposant le livre à sa place.

Je le dévisage.

 

Rhô la honte, il aime les Schtroumpfs.