Le mec à poil derrière le cumulus (partie II)

 

 

Résumé de l’épisode précédent : Le chauffe-eau de J. Heska va être immédiatement réparé par deux gentils chauffagistes, attentionnés et compétents. A-t-il atterri dans un monde parallèle où les régies locatives seraient compétentes ? Aurait-il enfin goûté à ce bonheur ultime jusque-là inaccessible, et que les autres habitants de cette planète nomment « chance » ou « heureuse coïncidence ». À moins que cela ne fasse partie du complot savamment orchestré par le gars à poil derrière le cumulus…

 

 

Super cumulusLes deux employés descendent chercher le nouveau cumulus dans leur véhicule utilitaire. Ils remontent quelques minutes plus tard avec un magnifique cylindre blanc aux lignes contemporaines et acérées. L’élégance du design, associée à une technologie de pointe, le tout réuni au sein d’un concept révolutionnaire électricité-plomberie-développement durable, ou EPDD, dixit la brochure qu’ils me tendent, blasés.

Ils purgent l’ancien chauffe-eau, une eau nauséabonde de couleur rouille s’écoule dans le seau.

— C’est avec ça qu’on se lavait ?

— Oui. Vous êtes pas le pire. Z’avez pas idée de ce qu’on trouve parfois…

Je ne cherche pas à en savoir plus. Je leur prépare du café, on discute un peu, puis quand les ultimes gouttes s’échappent du récipient, ils s’attaquent au démontage. La manœuvre est délicate, c’est un cumulus vertical planté dans le mur au fond du placard à un mètre cinquante de hauteur. Ils détachent les fixations. Un amas de poussière volette un peu partout. Ils le penchent dangereusement pour le sortir du placard. Un craquement retentit, le cumulus penche dangereusement. Je serre les poings.

 

— Ah ben zut. Il est tombé. On pouvait pas savoir qu’un chauffe-eau de cent cinquante kilos pouvait péter autant de carrelage, écraser une machine à laver, défoncer une cloison et tuer un chat.

 

— Ah ben zut. Il est tombé. C’est quand même fragile, ces trucs là. Je ne pensais pas que ça pouvait exploser et maculer votre appartement de cette épaisse de boue puante et immonde. Bon courage pour tout nettoyer.

 

— Ah ben zut. Il est tombé. Voyez le bon côté des choses. Oh moins, vous pouvez parler directement à votre voisine du dessous dans descendre.

 

Je me prépare à sauter pour leur venir en aide.

— Et voilà, c’était pas bien compliqué.

Ils réussissent à le dégager. Ils posent le cylindre au sol avec des grognements. Pas de casse, je suis content. Une épaisse poussière volettent dans l’appartement. Une enveloppe tombe au sol, des morceaux de papier s’échappent et s’étalent dans toute la cuisine.

— Ben tiens, une surprise ! lance l’un d’entre eux, le sourire aux lèvres.

Il ramasse les feuilles et me les tend. J’y jette un œil distrait, m’attendant à trouver des notices d’entretien ou un quelconque document inutile.

Des photos.

Plein de photos. D’un gars à poil. À poil dans la chambre avec un costume de Zorro (uniquement le chapeau), à poil dans la baignoire avec un peu de mousse sur le torse, à poil dans le salon à quatre pattes dans une pâle imitation d’un tigre (avec un peu de maquillage et de fausses oreilles), à poil sur la terrasse avec des lunettes de soleil à paillettes, à poil sur les toilettes en faisant semblant de forcer pour la grosse commission (l’image la moins glamour), à poil dans le placard, attaché et bâillonné, à poil en train simuler un viol sur un ours en peluche. Des poses lascives, des accessoires qui feraient peur au plus vicieux des sadomaso, et un physique loin d’être digne des mannequins de magazine.

Nous admirons les perles artistiques, lançant de grands rires gras, commentant parfois les exploits techniques, penchant souvent la tête pour comprendre dans quel sens l’image doit être vue. Cet ancien locataire a fait preuve d’une inventivité incroyable, c’est à chaque cliché une position inédite ou un objet de la vie courante qu’il a détourné (un concombre, une chaise, un téléphone portable, une plante, et même une bouteille d’huile).

— Z’avez qu’à les mettre sur Internet, il sera content, me lance un des chauffagistes.

Ce n’est pas bête comme idée. J’imagine la tête de ses collègues de bureau s’ils tombaient dessus par hasard.

Les photos défilent. Il y en a un sacré paquet. Nous nous marrons bien jusqu’au Mec à poil position lascivemoment où je réalise que le pénis posé nonchalamment sur le rebord de la baignoire était posé en fait sur ma baignoire. Et qu’il était attaché à poil dans mes placards. Que ses fesses molles et flasques étaient affalées sur mon bar, sur lequel je pose mon croissant / pain au chocolat / pain au raisin le matin… Et que l’huile qu’il a fait couler sur son ventre rebondi a coulé sur le mur que j’ai dû nettoyer quand nous avons repris l’appartement.

Depuis combien de temps ces photos sont là ? Et pourquoi ont-elles été planquées derrière le chauffe-eau ? Et comment a-t-il pu les oublier lorsqu’il a déménagé ?

Peut-être qu’il voulait que quelqu’un les trouve. Qu’il a les a abandonnées ici volontairement, dans une sorte de délire exhibitionniste un peu pervers. C’est une sensation bizarre, comme si ma vie avait été épiée depuis le début par un gars à poil caché derrière le cumulus. Mais c’est surtout le fait qu’il ait accompli ses exploits crades dans l’appartement dans lequel je vis aujourd’hui.

 

Quelques heures plus tard, en rentrant du travail, Ava a été étonnée de me voir frotter avec détermination la baignoire. Le bar, l’intérieur des placards, le carrelage, la moquette de la chambre, les murs, tout avait été lessivé avec application et respirait le propre.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je nettoie les dernières traces du passage du gars à poil !

— Un gars à poil ? Quoi ? Mais tu ne devais pas t’occuper du cumulus, cet après-midi ?

— Si, mais il y avait un gars à poil planqué derrière. Et il a fait plein de photos crades dans notre appartement !

Elle me regarde un instant.

— Tu es sûr que ça va ?

— Ben oui, comme d’habitude.

Elle hausse les épaules, sans chercher plus à comprendre.

— Bon, je vais préparer à manger…

 

 

FIN (de cette formidable aventure humaine)

 

 

 

 

3 réflexions au sujet de « Le mec à poil derrière le cumulus (partie II) »

  1. Du vécu , on ne peut pas inventer de telles histoires !

    Excellente soirée .

    ( il faut que je démonte mon cumulus ! )

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