Un monde idéal où la folie peut prendre n’importe qui

Lorsqu’il se réveilla ce matin-là, il sentit
immédiatement que quelque-chose clochait. Il se tourna vers son épouse, mais fut aussitôt frappé par les plumes vert foncé qui avaient poussé sur son corps. Il la secoua, un cancanement ronchon
lui répondit. Paniqué, il se releva précipitamment et sortit de la chambre. Dans la cuisine, son fils prenait son petit-déjeuner, en ébrouant ses plumes trempées par la rosée du matin.

Au bord de l’apoplexie, il saisit sa batte de base-ball et se jeta en dehors de la maison. Le facteur était là, juste devant la boîte aux lettres, l’air perdu, avec des yeux inexpressifs. Il
n’avait pas de sacoche, ni d’uniforme. Son bec luisait dans le soleil levant

Un canard. Lui aussi.

Tout la population s’était transformée en canard. Les travailleurs pressés, les parents, les enfants, les livreurs, les chauffeurs. Ils cancanaient et se prélassaient dans le petit étang,
oubliant tout ce qui faisait leur quotidien.

Il courut en direction du centre-ville. Là-bas, il pourrait trouver de l’aide. Il buta sur un grillage. Qui montait jusqu’au ciel. Il leva les yeux.

— Zoli canard, lui dit une petite fille qui le toisait de haut, en lui jetant un bout de pain rassis au sol.

— Aidez-moi ! Je ne suis pas un canard ! cria-t-il.

Une femme s’approcha de la petite.

— Il agite ses ailes et crie parce qu’il content, dit-elle en le pointant du doigt. Regarde comme il est mignon, il a même un bout de bois coincé dans son bec. Donne-lui le gros quignon.

Et tandis que le morceau de pain butait contre ses pattes palmées, il se demanda s’il rêvait ou s’il était devenu complètement dingue…

Dans un monde idéal…