Toi aussi, tu veux publier ton livre ? Tu cherches reconnaissance, amour, gloire, beauté, argent, cocaïne sur le capot des voitures, et les mêmes vestes que Bernard Pivot ? Mais tu ne sais pas comment faire, tu es un peu perdu sur les sables mouvants de l’édition, où de vils corbeaux te menacent avec leurs langues fourchues et leurs petits crocs avides de chair fraîche
(si, si). Ne t’inquiète pas jeune Jack Sully, tel un… alien bleue sur Pandora, je saurai te guider dans la jungle de ton futur littéraire.
De : Joanne Kathleen
Cher collègue,
Je suis l’auteure d’une série racontant les tribulations
d’un chinois en Chined’un jeune homme ordinaire qui vit une vie pas terrible et qui va découvrir qu’il a des supers pouvoirs. Il va faire son apprentissage dans une école de sorciers et, après un long entraînement et des aventures mêlant cocasserie et émotion, il va sauver le monde d’un grand méchant sadique à la face de mérou.J’ai donc été publiée, mais je crois que mon éditeur m’a un peu arnaqué (rien de bien méchant, un ou deux millions de livres –sterling, LOL). J’ai donc décidé de m’auto-éditer pour le prochain roman !
Mais j’ai un peu peur, car je sais pas trop ce que c’est. Tu peux m’aider ?
Gros bisous,
J. K. R.
Chère Joanne,
Laisse-moi tout d’abord fustiger ton manque flagrant d’imagination ! Combien de fois ai-je pu voir ce type d’histoire développé dans la littérature et le cinéma (Star Wars, rien que pour n’en citer un). Et le petit jeune, et l’apprentissage, et la mort du maître, et le grand méchant qui menace l’équilibre du monde ! Du réchauffé ! Tout ceci me fait dire que ta série de romans n’a pas dû bien marcher, et c’est tant mieux !
Et puis, laisse moi également te dire que ton histoire ressemble fort à une série de romans déjà existants, faisant d’ailleurs la fierté de l’auto-édition (d’autant plus que cela reste un beau produit national), Oksa Pollock ! Tiens, je t’ai même mis un article ici : l’étonnante saga d’Oksa Pollock.
Mais laissons cette digression de côté. Tu t’enquiers donc de conseils de ma part en matière d’auto-édition ? Tu trouveras quelques tuyaux dans mes précédents articles, notamment ici. Mais puisque nous ne sommes jamais mieux servi que par pas soi-même (ou quelque-chose d’approchant), et que je préfère me délasser sur ma terrasse au soleil en ce magnifique long week-end, je suis allé quérir des conseils chez la concurrence : les deux auteurs talentueux de Rémoras (fiche amazon ici), dont le livre est un succès d’auto-édition. Enjoy !
Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview ! Pour commencer tout en douceur, je vous propose de vous présenter vous-même, ainsi que votre petit bébé, en quelques lignes.
Nous sommes donc un duo d’auteurs et nous travaillons aussi ensemble dans la « vraie » vie, toujours dans le domaine de l’écriture et de l’édition en ligne, de façon plus générale.
Notre premier roman, Rémoras, est sorti en février dernier et nous sommes actuellement en train d’écrire notre second opus, La Trappe, une grosse nouvelle d’environ 80 pages qui devrait être disponible en juillet…si nous tenons le cap !
2. OK, c’est parti ! Rémoras est un thriller décapant qui débute par l’attentat sur les tours du World Trade Center en 2001 et qui relance la théorie du complot. Avouez, votre objectif était de faire fuir les éditeurs et les lecteurs ? Plus sérieusement, n’avez-vous pas eu quelques doutes au moment de rédaction du roman ? Avez-vous été tentés de vous autocensurer pour mieux vous couler dans le moule ?
Nous nous attendions à cette question !! Le thème du 11 septembre concerne pourtant seulement 5 pages du livre sur plus de 420….
En toute honnêteté, nous avons pris un malin plaisir à ne pas nous censurer, tout en sachant que les esprits étroits auraient du mal à dépasser les deux points suivants : 1/ c’est une fiction et chacun fait ce qu’il veut des sujets réels et des théories plausibles qui émaillent le récit, et 2/ est-ce que la lecture n’est pas aussi censée secouer quelques théories officielles bien trop confortables et pousser à la remise en question des informations qu’on nous donne à manger ?
Cette question a effectivement fait peur au seul gros éditeur que nous avons rencontré (avant de décider justement de nous passer d’éditeur, pour ne pas tomber dans le mauvais compromis). Nous avons en effet pu obtenu comme réponse de leur part que « le livre était pro et publiable sur la forme…mais que le fond était trop dérangeant ».
Vous l’aurez compris, l’autocensure, si elle n’a aucun autre objectif que de faire plaisir à une certaine catégorie de gens bien-pensants, n’est pas notre tasse de thé !!!
3. Le livre est écrit par un collectif énigmatique M.I.A., derrière lequel se cachent en réalité deux auteurs (Hélène et sébastien). Comme il n’est jamais facile d’écrire à quatre mains, décrivez-nous un peu la façon dont les rôles se répartissent. Allez, il y a un bien un des deux qui glandouille plus que l’autre ? Vous devez bien vous chamailler, de temps en temps ?
On va nous taxer de langue de bois, mais…tout va bien, désolés de vous décevoir !
Amis et collègues dans la vie, nous sommes de gros bosseurs mais nous avons tout particulièrement tendance à devenir une machine bien huilée lorsque nous travaillons en commun.
D’ailleurs, l’envie d’écrire Rémoras est partie du constat que notre collaboration en écriture « commandée » (en tant que nègres, pour parler clairement) était tellement fructueuse que ce serait idiot de ne pas pousser cette logique plus loin.
Comme nous sommes à 1500 km l’un de l’autre, nous ne pouvons de toute façon pas nous battre physiquement, alors autant rester tranquilles !!
Blague à part, il est compliqué d’expliquer pourquoi et comment cette collaboration est aussi efficace : question de caractères complémentaires, d’objectif commun bien défini, de rythme de travail similaire, etc. On peut dire que nos cerveaux sont branchés sur la même fréquence, peut-être, et que chacun respecte énormément les capacités de l’autre.
Si l’on doit résumer grossièrement notre manière de travailler, Seb a apporté le fond du roman (concept initial issu de sa propre expérience dans le milieu, techniques et outils abordés dans l’histoire, etc.) et Hélène la forme (plume et construction narrative).
Mais c’est réducteur de présenter les choses ainsi, car toute la construction de Rémoras s’est faite par le biais d’allers-retours quotidiens, chacun venant enrichir les idées et suggestions de l’autre.
Encore une fois, nous sommes désolés de ne pas mettre de petite touche dramatique dans tout ça, mais en en quatre ans de collaboration, nous n’avons pas eu un seul différent et pas une seule dispute !!
4. Hop, entrons dans le vif du sujet qui intéresse les jeunes auteurs avides de conseils : l’auto-édition. Car oui, vous avez décidé de passer par cette voie pour faire connaître votre œuvre. Celle-ci a mauvaise presse en France car elle est considérée (parfois à raison) comme un déversoir pour auteurs qui n’avaient pas le talent d’être publié. Que répondez-vous à cela ?
L’auto-publication a effectivement très mauvaise presse chez nous car, pendant longtemps, on n’y a (presque) trouvé que des auteurs en manque de reconnaissance qui finissaient là parce que l’édition traditionnelle, souvent à juste titre, estimait que leurs œuvres n’avaient pas le niveau pour être publiées.
Mais tout cela change de plus en plus (il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique, puisque les Etats-Unis ont quelques années d’avance sur nous en la matière) car l’auto-publication est en train de devenir une voie réellement choisie et non plus subie, pour tout un tas de raisons souvent très valables (royalties potentiellement plus élevées, liberté totale sur les droits et modes de diffusion, envie de vivre pleinement une aventure personnelle, etc.).
Par contre, l’auto-publication n’est clairement pas pour tout le monde : elle demande un niveau d’écriture et un degré d’autonomie très élevés, car l’auto-publié va devoir faire tout seul ce que ferait son éditeur…relecture impitoyable, corrections, mise en page, publication, promotion, etc., le tout avec encore plus de dureté envers lui-même, afin de ne pas sombrer dans le « j’ai écrit un livre et je suis donc forcément génial ! ».
Hélène est d’ailleurs éditée sous son vrai nom pour des guides pratiques et connait donc bien le versant « édition traditionnelle » et son degré d’exigence (ce qui nous a permis d’éviter de nombreux écueils au passage).
Bref, s’il est formidable que tant d’outils soient désormais disponibles pour les écrivains en herbe qui ont envie de vivre l’aventure comme nous l’avons fait, il faut comprendre que l’image des auto-publiés en France dépend directement de la qualité qui sortira de toutes les publications concernées à venir. En d’autres termes, il faut globalement élever ce niveau de qualité pour donner au statut toute sa légitimité.
5. Comment s’est passé concrètement le processus de création et d’édition de votre livre ? Toutes les étapes (correction, maquettage, couverture, diffusion) ont été réalisées par vos petites mimines ? Hors distribution, vous êtes-vous attachés les services de professionnels ?
Nous avons absolument tout fait, du sol au plafond !
Nous avons la chance d’avoir tous les outils professionnels et les compétences qui vont bien, et qui nous servent à la base dans notre travail « alimentaire » (conception de sites web, montage de documents de toutes sortes, etc.)
Et comme nous sommes des maniaques de première, Rémoras est passé par des centaines d’heures de peaufinage, tant sur le fond que la forme.
Aucun professionnel externe n’a été sollicité, mais nous avons par contre monté une équipe très sérieuse de bêta-lecteurs, que nous avons choisis selon des critères variés et précis dès le début.
Ils nous ont accompagnés au fil des mois, de façon à ne rien nous épargner…par contre, ils n’ont touché pour leur aide que notre éternelle reconnaissance et nous les remercions donc encore une fois d’avoir accepté de nous faire confiance et de croire au potentiel de Rémoras.
6. Cela doit prendre un temps dingue, non ? Vous n’avez plus de vie ! Comment trouvez-vous le temps d’écrire, derrière tout ça ? Comment arrivez-vous à allier vie
professionnelle et artistique ?
Nous avons tout simplement remis à l’ordre du jour un concept normalement disparu au siècle dernier en France : la semaine de 70 heures !!
Certains vont penser qu’on exagère, mais non…nous avons compris il y a déjà pas mal de temps que pour concilier notre travail free-lance et nos objectifs d’écriture de fiction, vouloir rester sur un planning traditionnel était une douce illusion.
Afin de garder du temps pour nous et nos familles, nous étalons donc tout notre travail sur des semaines de 7 jours, Hélène exploite pleinement ses périodes d’insomnie…et nous prions régulièrement Ste Rita pour que ce rythme ne soit pas encore d’actualité en 2022 !!
Mais nous sommes aussi lucides : lorsque nous n’avançons pas sur des projets, nous tournons vite en rond…autant bosser !
7. Votre livre est un vrai succès (plus de 1 000 exemplaires vendus sur Amazon). En quelques mots, comment expliquez-vous un tel engouement ? La qualité du livre ? La promotion ? Le « buzz » par les réseaux sociaux ? Avez-vous des petits tuyaux pour les auteurs autoédité qui souhaiteraient pouvoir s’acheter une villa sur la Côte d’Azur et lécher goulûment du caviar sur le dos d’une naïade au bord de la piscine ?
Ce sont les lecteurs qu’il faudrait interroger pour en savoir plus sur cette question…
En toute modestie, nous pensons que Rémoras tient plus que la route en termes de qualité éditoriale, mais cela est aussi valable pour d’autres livres qui ont du mal à trouver un public.
Il y a eu un énorme travail de promotion, réalisé dès le début, alors que le livre était encore en phase d’écriture : nous avons associé de nombreuses personnes à l’aventure, en publiant gratuitement les premières parties et en recueillant leurs avis. Ceci a sans doute permis de créer de l’attente et d’aider au lancement officiel du livre en février dernier, car beaucoup de nos contacts voulaient faire connaître le roman dans leurs propres réseaux.
Ceci dit, oubliez immédiatement le caviar et la piscine !! Ce n’est pas en France qu’il est possible de toucher autant pour le moment !!
Par contre, le marché anglophone est beaucoup plus large et plus mûr : ce n’est pas pour rien que nous réinvestissons tous nos modestes gains issus des ventes francophones dans la traduction de Rémoras, afin de pouvoir en diffuser la version anglaise en fin d’année…
8. Dès l’ouverture du service d’impression à la demande d’Amazon (CreateSpace, qui a enfin ouvert ses portes aux européens), vous vous êtes engouffrés dans la brèche. Quels avantages y voyez-vous par rapport aux imprimeurs à la demande déjà présents sur le marché, comme Lulu ou Thebookedition ?
Nous venons tout juste de valider ce nouveau canal de diffusion et il faudrait donc nous reposer la question dans quelques semaines, lorsque tout sera en ligne et fonctionnel.
Notre expérience avec Lulu est plutôt positive mais le concept manque pour le moment cruellement de facilitation si on veut vendre ailleurs que sur leur propre site, même en payant, et c’est pourquoi nous nous sommes jetés sur CreateSpace, qui alimente directement la plateforme Amazon…ce qui nous permettra de proposer notre livre en version papier sur la même page que notre version Kindle.
Un atout potentiellement intéressant et pour un coût d’impression réduit par rapport à Lulu. A priori, que demander de mieux ? …mais nous ne pourrons donner notre avis véritable que dans quelques temps.
9. Beaucoup d’auteurs auto-édité décident de franchir le pas et de créer une structure éditoriale (SARL, association, auto-entrepreneur, etc.) afin de faciliter les démarches
administratives de diffusion. Quant est-il de votre côté ? Le Holding M.I.A. est-il en train de naître ?
Sébastien étant en Espagne, c’est Hélène qui prend tous les aspects administratifs sous son nom (avec le statut d’auto-entrepreneur par ailleurs et un contrat très basique qui nous relie l’un à l’autre), les plateformes d’auto-publication ayant complètement oublié de proposer un mode d’enregistrement pour les livres écrits à plusieurs mains…et dans notre configuration géographique.
Certains se diront « ouh la la, oui, mais si soudain elle avait envie de se tirer avec la caisse ? ».
Nous vous rassurons donc : aucun de nous n’a envie de casser un partenariat aussi efficace et prometteur, et, compte-tenu des coûts relatifs à la création d’une structure (sans parler des complications liées à nos différents pays de résidence), nous préférons fonctionner comme ça pour le moment.
Il est évident que si nous finissons par vivre le rêve américain et vendre 2000 livres par jour (on peut toujours rêver !), il faudra qu’on fasse les choses un peu plus proprement, ne serait-ce que pour protéger nos ayant-droits si l’un de nous a le malheur de passer sous un camion !
10. Question piège : je suis éditeur chez Gallimard et je vous propose un pont d’or pour éditer Rémoras. Allez, c’est quand même la galère, l’auto-édition. Vous acceptez ?
L’auto-publication est beaucoup plus passionnante qu’elle n’est galère, en toute franchise.
Ceci dit, si Gallimard arrivait, en nous laissant nos droits audiovisuels, numériques et autres possibilités d’adaptation (ce qui n’arriverait jamais, soyons lucides !), pourquoi pas ?
Mais à la réflexion, non, franchement…
Vous voyez, sur un Rémoras à moins de 3€, nous touchons 2€ environ (pour simplifier).
Hélène, sur ses guides pratiques vendus par un gros éditeur à 13€ touche…1€ (et ils n’ont pas eu l’idée de l’éditer en numérique pour le moment…soupir). En 9 mois, son éditeur a « réussi » à en vendre 1500…en trois mois, et sans aide extérieure, nous avons vendu plus de 1000 exemplaires de Rémoras.
Vous voyez où nous voulons en venir ?
Accepter un gros éditeur pourquoi ? Pour le prestige ?
Nous avons d’autres objectifs et ambitions que de voir notre livre finir au pilon un an plus tard (et nous aimons d’ailleurs trop les arbres, c’est aussi pour ça que l’impression à la demande est une bonne chose !), pour quelques minutes de « gloire ». Il faudrait vraiment que la proposition soit exceptionnellement différente des contrats d’édition traditionnels, car nous aimons trop notre liberté de pensée et de fonctionnement pour céder à quelques sirènes…
11. Le petit mot de la fin ?
Merci infiniment pour cette interview rondement menée, rafraichissante et amusante !
Nous espérons que notre façon de voir et de faire les choses donnera envie à de nouveaux lecteurs de découvrir Rémoras, que ce soit en numérique ou sur papier, et nous vous donnons rendez-vous sur notre blog (http://leblogmia.com) pour en savoir plus à notre sujet.
A bientôt !
Merci à vous pour vos réponses complètes et bien sympathiques !
Voilà chère Joanne, j’espère que ces petits tuyaux t’auront été utiles. Il n’y a plus qu’à les appliquer pour devenir riche et célèbre.
Et si je peux me permettre, laisse tomber les sorciers, ça ne marche pas. Essaie-toi plutôt aux vampires ou aux loups-garous, c’est très porteur en ce moment.
Gros bisous,
J. Heska
Epuisant le métier d’écrivain !
Excellente soirée .
Jean Anglade , écrivain régional né en 1915 , écrit encore et encore !
Excellente soirée .
Bonjour,
Merci pour cet article intéressant. Je réfléchis à l’édition à la demande et je suis allée sur Create space mais j’ai lu ce message :
« Remarque : à l’heure actuelle, l’impression à la demande par le biais de CreateSpace est uniquement disponible pour les livres en anglais. »
Comment avez-vous donc fait pour passer par eux?
Merci d’avance pour votre réponse!
Stef
Ah oui, tu m’avais déjà sollicité sur la question il me semble et j’avais oublié de te répondre. Où as-tu vu ce message ? Au moment de ton inscription ? Au moment de la création de ton roman ?
Parce que CreateSpace a été ouvert aux auteurs européens en juin et que je passe par ce service pour mes romans (en Français, donc) depuis ce temps et que je n’ai pas de soucis de mon côté.
Il suffit de s’inscrire ici : https://www.createspace.com/
J’ai tenté une réinscription sur un autre pseudo et ça fonctionne. Pareil pour la validation des romans…