Un monde idéal où l’Enfer est pire que ce que l’on s’imagine

 

Ticket file d'attente n°666— Attention à la voiture !

Erwin ouvrit les yeux et se rendit compte qu’il s’était endormi debout. Autour de lui, les autres personnes qui faisaient la queue semblaient ne pas avoir remarqué son coup d’éclat. Un couple s’égosillait derrière lui. Un homme essayait de subtiliser le ticket de quelqu’un qui s’était évanoui sur un siège. Une femme riait nerveusement. Sa bouche était pâteuse, ses jambes tremblaient. Cette scène avait des airs de déjà-vu.

— Quarante !

Un monsieur grassouillet se dirigea vers le comptoir. La file d’attente avança d’un maigre pas. Erwin fixa la feuille administrative sur lequel était agrafé son numéro, le 223, et laissa son esprit s’égarer sur ce drôle de rêve. À cette voiture qui fonçait droit sur lui alors qu’il venait de traverser la rue sans regarder. Un songe étonnamment réaliste. Il souffla.

 

— Soixante-cinq !

Le temps paraissait vouloir se figer sur place. Déjà plus de trois heures qu’il patientait. Un bébé se mit à pleurer tandis que des gamins abandonnés par des parents résignés démolissaient tout autour d’eux. Il crevait de faim, mourait de soif, rêvait d’une bonne douche et d’un café glacé.

 

— Cent quinze !

Il eut envie de hurler sur place. La chaleur étouffante des souffleuses le faisait transpirer à grosses gouttes. Des gens s’allongeaient au sol et perdaient toute contenance. Certains viraient même à la folie, lançant des insultes autour d’eux. Pourquoi attendait-il déjà ? Il étudia la feuille qu’on lui avait donnée, et fut bien incapable de la déchiffrer.

 

— Deux cent vingt-trois !

C’était son numéro. Enfin. Plus de huit heures qu’il piétinait. La langue sèche, au bord de l’épuisement, il s’approcha de la guichetière à l’air maussade et lui tendit son ticket. Elle le pointa du doigt et ouvrit la bouche.

— Attention à la voiture !

Erwin ouvrit les yeux et se rendit compte qu’il s’était endormi debout. Autour de lui, les autres personnes qui faisaient la queue semblaient ne pas avoir remarqué son coup d’éclat. Un couple s’égosillait derrière lui…

 

 

Dans un monde idéal…

 

 

12 réflexions au sujet de « Un monde idéal où l’Enfer est pire que ce que l’on s’imagine »

  1. j’apprécie cette magnifique allégorie sur l’Enfer . Son côté  » boucle temporelle  » lui donne sa magnificence !

    A bientôt et excellente nuit .

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